par Ethan Balakrishnan, 1er vice-présidente
Qui est « musicien pigiste » ? Pris au sens large, nous le sommes probablement tous; en effet, presque tous les membres de l’OMOSC font de la pige ou de l’enseignement en sus de leur travail principal. Pour les fins de la discussion, je m’en tiendrai aux surnuméraires – ces collègues qui sont sur scène une semaine et peut-être pas la semaine suivante. Ce sont les héros méconnus de nos orchestres.
Souvent engagés à très court avis, les surnuméraires doivent assimiler leurs parties très rapidement en vue d’une exécution de haut niveau et s’adapter à une dynamique de groupe qui ne leur est pas ncessairement familière, tout en composant avec un horaire chargé et imprévisible. Nous les entendons rarement se plaindre, et plusieurs parmi nous avons été dans la même situation à un moment ou à un autre de notre carrière (ou le sommes peut-être encore). On pourra donc nous pardonner de penser que tout va bien comme ça.
Toutefois, les surnuméraires font face à des obstacles importants en matière de représentation. Par exemple, ils peuvent hésiter à défendre leurs intérêts de peur d’être perçus comme des fauteurs de troubles. D’ailleurs, ils n’ont peut-être même pas le luxe de la stabilité et du temps qu’il faut pour participer à des activités syndicales. Aussi, une des motivations pour l’activisme tient au sentiment d’appartenance à une collectivité, sentiment qui fait souvent défaut aux surnuméraires puisqu’ils partagent leur temps entre plusieurs orchestres. Ils sont tout de même représentés par leur syndicat, bien sûr, mais en général, le droit de ratifier une entente collective est réservé aux musiciens permanents, et ce sont leurs propres conditions de travail – on peut le comprendre – qui retiennent davantage l’attention dans les négociations.
Ce manque de représentation met les surnuméraires dans une situation précaire. N’ayant essentiellement aucune protection dans la plupart des ententes collectives, ils sont susceptibles à tout moment de se retrouver sans travail avec un orchestre sans savoir pourquoi. Peut-être que leur préparation ou leur jeu d’ensemble n’a pas été à la hauteur; peut-être qu’un nouveau chef de section a préféré donner la priorité à un de ses élèves; ou peut-être qu’ils auraient simplement dû prendre une douche un peu plus souvent! Ce qui est plus préoccupant encore, c’est qu’un musicien non permanent puisse choisir de ne pas signaler un problème de harcèlement par crainte de représailles.
De plus, les surnuméraires réguliers sont souvent mis de côté lorsque des compressions budgétaires ou autres crises appellent des programmes réduits – comme cela s’est produit à grande échelle au moment de la pandémie de COVID-19.
Les musiciens surnuméraires ont été un sujet chaud à la Conférence de la Fédération internationale des musiciens à Malmö, en Suède, auquel j’ai assisté en octobre dernier. Un panel composé de dirigeants de syndicats de musiciens venant d’Australie, de Suisse et des Pays-Bas a été consacré à la question. Il a suscité de nombreux commentaires de la part des participants à la Conférence, et la discussion a même semblé déborder sur le panel suivant. Les participants ont parlé des diverses réalités que vivent les surnuméraires partout dans le monde, dont la faible représentation constitue le trait commun :
- aux Pays-Bas, les surnuméraires perdent du travail en vieillissant, une conséquence imprévue de la loi nationale sur le travail qui impose des cachets plus élevés pour les personnes d’expérience;
- dans les orchestres suisses, la conjugaison de lois syndicales faibles et d’un filet social réservé aux employés permanents a créé de très mauvaises conditions de travail pour les surnuméraires. Et en vertu d’une nouvelle loi, certaines musiciennes sont forcées au chômage en raison d’une grossesse, sans pour autant avoir droit aux prestations de maternité;
- dans les orchestres australiens, la représentation a souvent fait défaut aux surnuméraires, qui ont également souffert d’un manque de respect de la part des musiciens permanents.
L’association des musiciens d’orchestre symphonique de l’Australie (la SOMA, l’équivalent australien de l’OMOSC) et l’alliance des médias, du divertissement et des arts (Media Entertainment & Arts Alliance) ont lancé une véritable offensive en vue d’inverser cette tendance et de créer des protections efficaces pour les pigistes.
À partir d'un sondage national auprès des surnuméraires réalisé par la SOMA, l’orchestre symphonique d’Adelaide (ASO) est en voie de ratifier de nouvelles mesures au bénéfice de ses surnuméraires, le résultat d’une collaboration entre les musiciens permanents, leurs collègues surnuméraires réguliers et l’administration. Selon Lachlan Bramble, président de la SOMA et violiniste au sein de l’ASO, une des principales préoccupations des surnuméraires concernait le manque de transparence dans les pratiques d’embauche, qui se traduisait par l’impossibilité de planifier leur vie en raison de l’incertitude de leurs engagements, la frustration au sujet d’une distribution du travail inégale et possiblement injuste, et la perte de travail soudaine sans explication. L’ébauche des nouvelles mesures inclut donc les trois principaux points à améliorer :
- un processus équitable et transparent d’audition pour les surnuméraires;
- un ensemble de critères fondés sur le mérite pour déterminer qui, sur la liste des surnuméraires, se verra offrir du travail;
- un réel engagement à communiquer régulièrement avec eux pour leur transmettre des commentaires sur leurs prestations et les aviser des offres et des probabilités de travail à venir.
M. Bramble précise que ce n’est qu’un point de départ, et qu’ils pousseront sans doute l’initiative plus loin. Il souligne également l’importance d’inclure les surnuméraires eux-mêmes dans la création d’un tel processus afin qu’ils puissent se sentir partie prenante et faire valoir leurs points de vue particuliers.
Je crois qu’il s’agit d’un développement intéressant, voire d’un exemple à suivre. La solidarité avec les surnuméraires profite aux membres permanents également, et tout ce que nous pouvons faire pour simplifier la vie à nos collègues surnuméraires, la rendre moins stressante, ne peut qu’améliorer le rendement de l’ensemble au grand complet. Nos surnuméraires constituent une partie essentielle de nos orchestres, pourquoi ne pas les traiter avec tout le respect auquel ils ont droit?